Vue générale de la ville et du château de Versailles du côté des jardins – 1793 – Gallica
Le début des difficultés
Après la célébration de leur mariage en 1695, François et Barbe s’installent ensemble à Versailles et le tout nouveau couple doit alors faire face à certaines difficultés financières, malgré leur apparente aisance. A sa mort, Pierre, le père de François, avait laissé en héritage à ses trois enfants encore vivants la Grande et la Petite Sirène, biens dont l’entretien et les charges semblent un peu trop importants pour leurs bourses : «La propriété desquelles maisons leur a causé jusqu’à présent beaucoup de procès et difficultés ensemble. » (extrait d’une transaction de 1697). François et ses deux beaux-frères René et Jacques décident donc en 1697 de passer devant notaire afin de se partager la jouissance des deux maisons et leurs dépendances en trois lots d’égale valeur, et de faire face ensemble aux dépenses qu’elles engendrent tout en maintenant une paix fragilisée dans leur famille. Et c’est ainsi que François et Barbe prennent possession de la Petite Sirène.

Extrait de la transaction passée entre François Frichot, René Lemeunier et Jacques Roger – 1697 – AD des Yvelines
Et ce ne sont pas moins de 10 enfants qui verront le jour entre ses murs de 1695 à 1713 : Elisabeth, Marie Louise, Louis, Nicolas (qui décède quelques jours après avoir fêté sa deuxième année), Geneviève, André (qui ne vivra pas 6 mois), François (qui meurt à 6 ans), Anthoine (décédé à 2 ans), Louis Auguste et le second Nicolas. 4 décès en bas-âge sur une fratrie de 10 est finalement assez peu pour ce début de XVIIIe siècle et s’explique aisément par une qualité de vie bien meilleure en milieu bourgeois que dans un foyer de paysans pauvres. La famille a en effet accès à une eau plus potable, une nourriture plus abondante et plus variée, des soins de meilleure qualité que la plupart des français de l’époque. De plus, n’étant pas dans l’obligation d’effectuer des travaux pénibles dès le plus jeune âge comme leurs contemporains des campagnes pour vivre, ils sont en bien meilleure santé que la moyenne. Mais ils ne sont pour autant pas totalement épargnés par les différentes catastrophes que subit le royaume au fil du temps.
A Versailles comme ailleurs, le terrible hiver de 1709 fait des ravages. Au sein même du château, il fait si froid que le roi doit faire réchauffer son vin qui a gelé près de la cheminée… et la Petite Sirène ne doit sûrement pas être mieux isolée que la demeure du monarque ! Afin de pallier à la pénurie de blé, Louis XIV fait commander des céréales en pays étrangers, demande à ce que sa vaisselle en or soit fondue pour régler ces factures et met en place une nouvelle taxe dans chaque ville destinée aux plus aisés afin d’aider à nourrir les plus pauvres, taxe à laquelle les Frichot sont bien entendu soumis, quand bien même leurs revenus baissent de jour en jour. Mais malgré tout, la famille n’est de loin pas la plus à plaindre en cette période si troublée et aucun d’entre eux ne perd la vie durant cet épisode, contrairement à bon nombre de nos ancêtres paysans.

Le secours du potage à Paris pendant la famine de 1709 – André Leroux – Musée Carnavalet.
Pourtant quelques années plus tard, en 1714, François pousse son dernier soupir à seulement 49 ans.

L’élégante signature de François Frichot en 1695
Il laisse Barbe seule avec ses 6 enfants encore en vie, le dernier venant à peine de souffler sa première bougie. La situation financière de la famille ne cesse de se dégrader, tout comme la Petite Sirène qui, après la mort de François, est divisée en 4 lots attribués à Barbe, Marie Frichot (la sœur de François) et son second mari Victor Tarley, René Lemeunier (leur beau-frère et veuf de Catherine Frichot) et Laurent Robineau, le frère de leur belle-mère Françoise (la seconde épouse décédée de Pierre Frichot.) (Je ne comprends toujours pas pourquoi !).
De plus le bâtiment ne semble pas avoir été suffisamment entretenu au fil des ans et n’est estimé qu’à 2500 livres, « considération faite de son mauvais état, ruine et dépérissement des bâtiments faute d’entretien et aux réparations considérables qu’il convient de faire pour enrayer le dépérissement entier et les rendre logeables. » (extrait de l’expertise de la Petite Sirène en 1715).

Extrait de l’expertise de la Petite Sirène – 1715 – AD des Yvelines
20 ans seulement se sont écoulés depuis la mort de Pierre Frichot et le patrimoine qu’il s’était soigneusement constitué s’est rapidement effrité entre les mains de ses trop nombreux héritiers, incapables de s’entendre et de faire fructifier leur héritage.
Dans ce contexte, il n’est plus question pour Barbe et ses enfants de se contenter d’un statut de bourgeois qui ne paye pas les factures, et chacun doit mettre la main à la pâte. Elisabeth et Marie Louise, les filles ainées deviennent toutes deux marchandes de marée et vendent sur leurs étals les produits issus de la mer.
Le quadruple mariage Delacroix-Bary
Barbe attendra tout de même 2 ans avant de se remarier, avec Pierre Bary, un maçon veuf et père de 4 garçons. Leur noce à lieu le 23 novembre 1716, et ils ne sont pas les seuls à se marier ce jour là. Les deux marchandes de marée, désormais âgées de 21 et 19 ans, épousent dans le même temps Jacques et Julien, les deux fils aînés de Pierre Bary et maçons comme leur père.

Les 3 mariages Bary/Frichot en une page – 1716 – 4E 3349- AD des Yvelines
Unir ainsi deux familles est monnaie courante et offre beaucoup d’avantages. On évite un morcellement des patrimoines respectifs mais aussi de devoir débourser des sommes trop importantes pour les dots sur lesquelles on ne peut faire l’impasse, surtout quand on a, comme Barbe, plusieurs filles à marier mais peu de moyens. Et Geneviève, la dernière de ses filles, n’échappera pas au mariage arrangé avec un Bary et épouse en 1720 Etienne, le troisième fils de Pierre. Celui-ci ne se contentera d’ailleurs pas de marier ses fils aux filles Frichot mais prendra aussi sous son aile Louis, Auguste et Nicolas, les trois fils de Barbe et les formera au métier de maçon.

Barbe aura ainsi réussi le tour de force d’assurer l’avenir de ses 6 enfants, le tout en une seule journée, ce qui n’était clairement pas gagné au lendemain de la mort de son mari. Elle n’assistera malheureusement pas au mariage de sa troisième fille, ni à ceux de ses fils. Elle décède le 7 mars 1719, à seulement 50 ans. Mais c’est avec la satisfaction d’avoir mis toute sa famille à l’abri qu’elle passe dans l’autre monde.

Acte de sépulture de Barbe Delacroix – 1719 – 4E 3356- AD des Yvelines
La dégringolade dans l’échelle sociale
Deux ans plus tard, Louis, le fils aîné de François et Barbe, convole à son tour. Il est maintenant loin le temps où la famille bourgeoise coulait des jours heureux à la Petite Sirène sans peur du lendemain. Le jeune homme devenu maçon est désormais âgé de 23 ans et vit dans un petit appartement dans la rue de Bourbon, avec son beau-père et tuteur Pierre Bary, non loin de la grande maison dans laquelle il est né.

Plan de Versailles – 1746 – Gallica
Il se mariera deux fois, la première en 1721 avec Elisabeth Héroux, fille d’un scieur de pierres vivant dans la même rue. La jeune femme lui donnera 6 enfants mais seuls deux d’entre eux arriveront à l’âge adulte. A la mort de celle-ci Louis convolera avec Marie Hénaut, domestique chez un Officier de la Reine (Marie Leszczynska, l’épouse de Louis XV). Ils auront 7 enfants entre 1733 et 1742, et trois d’entre eux décèderont en bas-âge. Le père de cette famille nombreuse décèdera en 1759, à 58 ans. Quant à ses enfants, les arrières-petits-enfants de Pierre Frichot, ils deviendront garçons d’office, porteurs de marchandises, maçons, ferrailleurs… Rien que des métiers peu rémunérés, et ils auront des vies bien moins confortables que celle de leur arrière-grand-père.
Un siècle aura donc suffit aux Frichot pour passer du statut de bourgeois à celui de petite gens. Les efforts fournis par Pierre et ses parents pour s’élever socialement n’auront malheureusement servi à rien. Grimper dans l’échelle sociale demande beaucoup de temps, de travail et se fait sur de nombreuses générations, mais pour dégringoler au bas de l’échelle, c’est tellement rapide !


Plan général de la ville et du château de Versailles, de ses jardins, bosquets et fontaines. Pierre Lepautre – Gallica


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