Marie Auroy et Jean Fline, la rosière et le grognard

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La rosière

La tradition de la rosière serait née autour de 525 avec Saint Médard, alors évêque de Noyon et seigneur de Salency, dans l’Oise. Chaque année, la jeune fille la plus sage et vertueuse qui vivait sur ses terres recevait la somme de 25 livres et une couronne de roses en récompense de ses vertus. Cette tradition qui se perpétua aux 4 coins de la France perdure encore aujourd’hui, dans quelques villes et villages.

L’une de ces rosières s’appelait Marie Auroy.

La Fête de bonnes gens ou la récompense de la Sagesse et de la Vertu – 1776 – WILLE Pierre-Alexandre

Le 6 décembre 1807, la ville de Montluçon est en fête. Le maire, le conseil municipal, le sous-préfet, des membres de la garde nationale et de la gendarmerie, ainsi que de nombreux musiciens se rendent ce matin là chez la jeune rosière, âgée de 26 ans : Aujourd’hui, elle se marie ! Durant leur marche, l’orchestre joue, tandis que le public crie « Vive l’Empereur ! Vive Sa Majesté ! » Pourtant, ce ne sont pas les noces d’un membre de la famille royale que l’on célèbre aujourd’hui. Ni même celles d’un notable de la ville. En réalité, Marie fait partie des familles les plus pauvres de Montluçon. Mais alors pourquoi tout ce beau monde fait-il le déplacement ? Pourquoi un tel cortège ?

Album pittoresque du jardin de la France – Rouargue frères, Paris – Gallica

Marie Auroy

Notre future mariée nait à Montluçon en 1781. Elle est la cinquième enfant dans une fratrie qui en compte 8. Son père, Nicolas, est tailleur d’habits. Sa mère, Marie, est bien évidemment mère au foyer. La famille vivant au coeur de la ville, elle ne possède vraisemblablement pas de jardin potager, ni de quelques animaux pour améliorer l’ordinaire. Elle ne peut donc compter que sur le maigre salaire de Nicolas pour vivre, et n’a assurément pas de quoi offrir un beau mariage aux enfants. Mais heureusement pour Marie, l’empereur est là…

Baptême de Marie Auroy – GG 28, Montluçon – Archives départementales de l’Allier

Les grognards

Le jour de la noce, cela fait déjà 3 ans que Napoléon Bonaparte s’est lui même sacré empereur des français, prenant le nom de Napoléon Ier. Depuis son accession au grade de général des armées françaises en 1794, l’empereur est un habitué de la guerre, et surtout des victoires. Italie, Égypte, Autriche, Prusse, Pologne, la « grande armée » ne cesse de gagner des batailles mais nécessite un nombre élevé de soldats pour pallier aux pertes inévitables. Tous sont d’une fidélité sans faille à l’empereur, malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils évoluent : marches forcées, nourriture insuffisante, soldes rarement distribuées en temps et en heure… rien n’ébranle le dévouement des grognards, comme ils s’appellent eux-mêmes. 

« Ils grognaient, et le suivaient toujours » – Auguste Raffet – 1836

Mais après plusieurs années de service dans des conditions difficiles, durant lesquelles leur santé a pu fortement se dégrader, loin de leur pays et de leur famille, il est peu aisé pour ces militaires retraités ou réformés de se réinsérer dans la vie civile. L’empereur en est conscient, et souhaite les aider à refaire leur vie loin des champs de bataille, tout en renforçant son prestige auprès de son peuple, bien évidemment. C’est ainsi qu’il décide, à partir de 1806, de favoriser cette réinsertion par le mariage, en offrant une dot de 600 francs (plus ou moins l’équivalent du salaire annuel d’un ouvrier de l’époque) aux jeunes filles acceptant de prendre l’un de ses anciens militaires pour époux, certains jours anniversaires de son règne. 

Le Sacre de Napoléon, Jacques-Louis David, 1807

La dot de l’Empereur

Pour pouvoir bénéficier de cette dot, les couples candidats doivent tout de même satisfaire à quelques exigences.  La jeune prétendante doit être sage et vertueuse. Pour le prouver, il lui faut produire des certificats de bonne conduite et de moralité, rédigés par le curé de sa paroisse ou le commissaire de police par exemple. Toutes celles incapables d’apporter un tel document sont disqualifiées d’office. Etre issue d’une famille des plus pauvres mais honnête et laborieuse est tout aussi important, et être orpheline de l’un ou des deux parents peut peser dans la balance. Ce qui est le cas de Marie dont la mère est décédée en 1806. Quant à son fiancé, il doit impérativement avoir combattu sur le champs de bataille. Le nombre de guerres auxquelles il a participé ainsi que le nombre de services qu’il a rendu à son pays sont aussi importants. Avoir reçu une distinction au cours de sa carrière est bien sûr un grand plus, le saint graal étant la légion d’honneur, tout comme avoir été blessé et se retrouver infirme. Produire un certificat de bonne conduite peut jouer sur la décision finale mais cela reste tout de même moins important que pour la demoiselle…

Jean Fline

Le prétendant de Marie se nomme Jean Fline. Le jeune homme né en 1780 est l’ainé d’une fratrie de 9 enfants. Claude, son père, est cordonnier. Marie Anne, sa mère, s’occupe de sa famille nombreuse.

Baptême de Jean Fline – GG 28 – Montluçon – Archives départementales de l’Allier

En 1800, le jeune homme de 20 ans est devenu cordonnier, à l’instar de son père. Mais comme tous ses contemporains, il est appelé à faire son service militaire, ou plutôt sa conscription, comme on l’appelle alors. La « conscription universelle et obligatoire » avait été instaurée pour la première fois seulement deux ans auparavant, en raison du manque grandissant de mobilisés volontaires. Les conscrits doivent alors passer 5 ans sous les drapeaux.

Le parcours militaire de notre futur marié ne nous est pas connu, en dehors du fait qu’il est resté 7 ans dans l’armée et a été « blessé lors de la dernière campagne ». Cette campagne, c’est celle de Pologne, dont les français sortent victorieux à la bataille de Friedland en juin 1807. Notre grognard semble donc avoir vu du pays… Mais c’est physiquement bien diminué qu’il rentre à la maison après ces nombreuses années passées loin de chez lui.

Horace VernetBataille de Friedland, 14 juin 1807

Marie et Jean vivent dans le même quartier, fréquentent la même église et leurs pères exercent des métiers complémentaires. Ils n’ont donc pas manqué d’occasions pour se rencontrer, se fréquenter et décider de se marier. Leur union a-t-elle été décidée avant que le jeune homme ne parte sous les drapeaux ? A son retour ? Ou est-ce cet appel à candidature qui a précipité les évènements ?

Le mariage de la rosière et du grognard

L’histoire ne le dit pas, mais ce qui est sûr c’est que c’est leur dossier qui est retenu pour recevoir la dot et voir leur mariage être célébré en grande pompe le premier dimanche du mois de décembre, jour officiel du double anniversaire de la bataille d’Austerlitz et du couronnement de l’Empereur. Et que, par la même occasion, Marie est couronnée rosière.

Ce dimanche 6 décembre 1807 donc, Le cortège mené par le sous-préfet se rend chez la future épouse qui les attends avec son père et son fiancé. Tout ce beau monde se rend ensuite à la mairie pour célébrer le mariage. Là, le maire remet à notre rosière un bon de 600 francs, sans oublier de lui rappeler qu’elle le doit à sa vie vertueuse ainsi, et surtout, qu’à la grande générosité de l’Empereur.

Extraits de l’acte de mariage de Jean et Elisabeth – 1E 2 3 – Montluçon – Archives départementales de l’Allier

Après le mariage civil vient le mariage religieux, célébré en l’église Notre-Dame. Puis, enfin, les jeunes mariés sont raccompagnés chez eux par leur prestigieuse escorte, et cette folle journée se termine.

Cette union entre une rosière et un grognard semble avoir été heureuse : Après les noces, ils installent leur foyer au coeur du quartier Saint Pierre, dans la rue du Pont Vieux, et Jean reprend son métier de cordonnier.

Cadastre napoléonien – 3P 3191 – Montluçon – Archives départementales de l’Allier

Marie lui donnera quatre enfants : deux garçons et deux filles. Jean assistera aux mariages de deux d’entre-eux avant de décéder à l’âge honorable de 64 ans. Son épouse lui survivra encore 9 ans avant de le rejoindre, quelques jours avant de fêter ses 72 ans.

Actes de décès de Jean et de Marie – 2E 191 35 et 2E 191 42 – Montluçon – Archives départementales de l’Allier

Bibliographie : Bulletin des Amis de Montluçon, 1921 – Napoleonica, la revue, 2009

Une réponse à « Marie Auroy et Jean Fline, la rosière et le grognard »

  1. Avatar de Une vie dans la forêt – Voyages dans le temps

    […] Quant aux filles, elles quitteront toutes les deux définitivement le monde de la forêt pour épouser respectivement un tailleur d’habits et un laboureur. Anne, l’épouse du tailleur Joseph Auroy, deviendra par la suite la grand-mère de Marie Auroy, la rosière qui épousa un grognard. […]

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