Une fois n’est pas coutume, cet article ne concerne pas mes ancêtres mais une histoire arrivée dans mon village il y a plus de 130 ans maintenant, découverte au hasard de mes lectures de la presse ancienne et que tout le monde a oublié depuis.
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Escales est une toute petite commune de l’Aude entourée de vignes, située entre Carcassonne et Narbonne. En son centre se dresse son église de style roman et datant du XIIe, l’église Saint Martin. En neuf siècles, ses bancs ont vu se succéder des milliers de fidèles, venus écouter les sermons de presque autant de curés. L’un d’entre eux s’appelait Achille Andrieu, et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était clairement pas le plus apprécié.

La carrière d’Achille Andrieu
Achille nait en 1844 à Montréal, un gros bourg tout près de Carcassonne, d’un père chapelier et d’une mère couturière. Après ses études, probablement au petit séminaire de Carcassonne, il commence sa carrière de religieux en étant nommé vicaire (l’assistant du curé) à Conques sur Orbiel, avant d’être muté à la cathédrale Saint Just de Narbonne.

Autour de 1875, le vicaire est enfin nommé curé, et le voilà donc affecté à Escales. Très vite, il fait parler de lui, et pas vraiment en bien, notamment en s’opposant à la municipalité à diverses reprises.
Un curé peu apprécié
En 1880, à l’occasion de l’enterrement civil d’un habitant du village qui n’avait pas souhaité de messe religieuse, il tente d’excommunier les «libres penseurs», ces personnes qui choisissent de croire ou non en Dieu, ou encore de créer leurs propres croyances.

La Fraternité – 15/11/1880 – Gallica
L’année suivante, il est poursuivi par le conseil municipal pour « destruction d’objets destinés à décorer un édifice public », pour avoir retiré de la façade du presbytère le drapeau républicain que le maire avait fait placer pour les commémorations du 14 juillet. Le tribunal lui a alors donné raison.

Le Salut – 28/12/1881 – Gallica
En 1883, il fait appel à son ami haut placé, le sous-préfet de l’Aude, pour que celui-ci oblige le conseil municipal d’Escales à accéder à sa demande : faire réparer et prendre en charge le coût des réparations du toit du presbytère. Le conseil n’avait pas refusé, mais à condition que la fabrique (conseil de personnes responsables de la collecte et de l’administration des fonds destinés à construire et entretenir les églises) prouve qu’elle était dans l’incapacité de régler la facture. Mais le sous-préfet ayant parlé, le conseil municipal dû obtempérer.

Le Radical de l’Aude – extrait de l’article – 12/02/1883 – Gallica
Un an plus tard, l’animosité envers le prêtre est devenue telle qu’une nuit de juillet 1884, son presbytère est carrément dynamité. Si l’édifice a globalement tenu bon, un pan de mur s’est tout de même écroulé.

Journal de Toulouse – 28/07/1884 – Gallica
Entre Achille et ses paroissiens, le courant ne passe donc vraiment pas. Ce qu’on lui reproche, en plus de ses accrochages réguliers avec la municipalité, c’est surtout d’avoir oublié qu’il a fait vœu de célibat le jour où il a pris la décision de se vouer à Dieu. Tout se sait très vite dans un petit village de 600 habitants environ. Comme par exemple, sa relation pas vraiment platonique avec une jeune femme de la paroisse.

Un amour interdit
Marie, qui nait à Escales en 1860, fait partie d’une famille respectée de la commune, et son père Isidore en a même été le maire dans les années 1850. Celui-ci décède en 1883, laissant la jeune femme de 23 ans seule avec sa mère et pas vraiment pressée de se marier… On comprend pourquoi.
Flore, sa maman, semble impuissante à empêcher sa fille de fréquenter monsieur le curé. Elle se décide à écrire à l’évêque de Carcassonne afin de lui demander de transférer Achille dans une autre paroisse, mais sa lettre reste sans réponse. Une pétition signée par de nombreux villageois demandant encore une fois le départ du prêtre controversé, puis une autre signée cette fois par les membres du conseil municipal n’ont pas plus d’effet. Le curé reste, sa relation avec Marie perdure, et ce qui devait arriver arriva : la jeune femme tombe enceinte fin 1887.

Le Guetteur – 25/09/1888 – Gallica
Si elle réussit tant bien que mal à cacher sa grossesse durant plusieurs mois, elle ne peut passer sous silence la naissance de son enfant le 6 septembre 1888. Que ce soit par amour pour son amant, par défi, ou par dépit, elle donne à sa petite fille les prénoms d’Achilette, féminin d’Achille, et de Pauline, le prénom de la grand-mère paternelle du bébé. Et si c’est de père inconnu qu’elle est déclarée à la mairie, il n’y a maintenant absolument plus aucun doute possible sur l’identité de celui-ci.

Extrait de l’acte de naissance d’Achilette – 1888 – Archives municipales d’Escales
La nouvelle de cette naissance est la goutte de trop pour Escales et ses habitants qui décident de la fêter bruyamment. Dès le lendemain, les cloches de l’église sonnent à tout rompre, le tambour et une trompette de la fanfare municipale retentissent dans toute la paroisse, les esprits s’échauffent. Monsieur le curé commence à craindre pour sa vie et décide alors de fuir le village en n’emportant que le strict nécessaire, laissant derrière lui tous ses meubles et les portes de l’église et du presbytère grandes ouvertes. Alors que son enfant n’est née que depuis quelques heures, il quitte la commune au galop sous les huées et les cris des villageois. Il n’y remettra bien évidemment plus jamais les pieds.

La Lanterne – 15/09/1888 – Rétronews
Escales après Achille
C’est finalement à la hâte que l’évêque de Carcassonne, qui était jusque là resté sourd aux suppliques des escalois, se voit obligé de nommer un nouveau curé pour le village. M. Gelis, contrairement à son prédécesseur, fera l’unanimité dans la paroisse et sera fort regretté le jour de son départ.


La Croix du sud 19/06/1893 – Gallica
La pauvre petite Achillette n’aura pas à porter le poids des péchés de ses parents bien longtemps : elle décède en 1892, à l’âge de 4 ans, au domicile de sa grand-mère qui la suit dans la tombe seulement quelques mois plus tard.

Acte de décès d’Achilette – 1892 – Archives municipales d’Escales
Marie semble ne s’être jamais mariée. C’est peut-être par choix, mais plus probablement parce que son histoire d’amour avec un prêtre et son statut de fille-mère ont suffi à faire fuir n’importe quel prétendant à des kilomètres à la ronde. Elle repose aujourd’hui dans le caveau familial, auprès de ses parents et de sa fille.

Le caveau familial de Marie et Achilette, aujourd’hui totalement à l’abandon – cimetière d’Escales – photo personnelle
Achille après le scandale
Achille est, sans surprise, celui qui aura le moins perdu dans cette histoire. Durant les années qui suivent sa fuite, il se fait tout petit et ne fait parler de lui nulle part. On perd sa trace jusqu’aux environs de 1895 lorsqu’il rentre à Montréal, où il est né, après la mort de ses parents. Il y décède en 1901, respecté de tous et en ayant reçu l’absolution de ses pêchés de la main du curé-doyen de la paroisse, comme si rien ne s’était jamais produit à Escales…

Le courrier de l’Aude – 03/04/1901 – Gallica


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