Vivre à Paris en 1700
A l’aube du XVIIIe siècle, Paris est déjà la ville la plus importante de France bien qu’elle ne soit plus le siège du pouvoir, transféré à Versailles. Le baron Haussman n’a pas encore transformé le paysage et ouvert ses grands boulevards. Les rues de la villes sont alors sombres, étroites et tordues. Elles sont de plus mal pavées et aucune ne dispose de trottoir, en dehors du Pont neuf. C’est donc le plus souvent dans la terre, le crottin de cheval et les déchets jetés par les habitants que l’on se déplace comme on peut. Les rues grouillent de monde et de bruits : passants qui vaquent à leurs occupations, chevaux et charrettes se rendant à leurs destinations, vendeurs de tout et de rien qui appâtent leurs clients à grands renforts de cris, artisans qui tiennent boutique devant les maisons…

Le cabaret, l’image Notre Dame, Place de Grève – Jean Baptiste Raguenet – 1751
Claude, le chandelier
L’un de ces artisans s’appelle Claude Vignon, et il est chandelier. Son métier aujourd’hui disparu consiste à fabriquer et vendre des chandelles, indispensables pour apporter la lumière dans les foyers bien avant l’invention de l’électricité.

Marguerite Bourgeoys et son père à l’atelier de chandelles – Francis Back
Contrairement au cirier qui fabrique des bougies avec de la cire d’abeille, c’est à partir de suif qu’il travaille, qu’il récupère chez le boucher du coin. Sa matière première est idéalement faite d’un mélange de bœuf et de mouton mais du porc peut aussi être utilisé, même si l’odeur est encore pire. Car contrairement à la cire d’abeille, les chandelles au suif sentent assez mauvais, éclairent peu et d’une couleur rougeâtre et enfument facilement l’atmosphère. Mais elles peuvent être stockées longtemps et sont surtout beaucoup moins chères que la cire, et sont donc privilégiées par les classes les plus modestes.

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers – Diderot et d’Alembert – 1765
Pour fabriquer ses chandelles, Claude utilise deux méthodes : les moules ou le trempage. Dans les deux cas, il commence par faire fondre le suif dans un grand chaudron d’eau chaude. Une fois fondu, la technique du trempage consiste à écumer le suif pour éliminer les impuretés puis à le transférer dans un autre chaudron tenu au chaud, à coté d’une bassine remplie d’eau froide. Le chandelier trempe ensuite une mèche de coton attachée à un bâton dans le suif fondu, puis dans l’eau froide pour le figer, et ainsi de suite, couche par couche, jusqu’à ce que la chandelle ait l’épaisseur souhaitée. Une fois terminée, celle-ci est aplatie à la base et suspendue pour séchage. Avec le moule l’ouvrage est bien plus rapide, puisqu’il suffit à Claude de verser le suif dans des moules garnis de mèches de coton puis d’attendre que le tout sèche.

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers – Diderot et d’Alembert – 1765
Une fois les chandelles fabriquées, il faut les vendre. Ayant rarement de boutique, les chandeliers sont autorisés à employer jusqu’à deux colporteurs qui écoulent la marchandise dans les rues, en criant la bonne qualité de leurs produits et se mêlant aux autres vendeurs ambulants de la capitale.

Les cris de Paris – Jacques Chiquet – Début XVIIIe
C’est dans le cul-de-sac de l’Empereur, donnant sur la rue Saint Denis, que Claude officie et qu’il vit avec son épouse, Geneviève Tavernier. La jeune femme lui aura donné dans les années 1690 trois filles, Marie Magdeleine, Marie Louise et Françoise Charlotte, ainsi qu’un unique fils, Pierre.

Le cul de sac de l’Empereur – Nouveau plan de la ville de Paris, capitale du royaume de France – G. Monbard – 1694 – Gallica
Le métier de chandelier ne rapporte pas beaucoup, surtout quand, à l’instar de Claude, on n’a pas pu accéder à la maitrise. Ses chandelles ne se vendent en effet qu’environ une demie livre, sûrement pas assez pour faire vivre sa famille désormais nombreuse. Cela pourrait expliquer pourquoi il prend la décision radicale, alors que ses enfants sont encore en bas-âge, de quitter les siens et tenter de faire fortune bien loin de chez lui…
Dans le sillage de l’armée
Au tout début du XVIIIe siècle, le royaume de France est engagé dans la guerre de succession d’Espagne aux cotés du royaume de Castille et Léon et face au Saint Empire romain germanique, allié de la Grande-Bretagne et du royaume d’Aragon, les deux camps voulant mettre leurs candidats respectifs sur le trône d’Espagne laissé vacant par la mort du dernier Habsbourg espagnol, Charles II : les prétendants sont Philippe V, petit-fils de Louis XIV pour les français et Charles IV, fils de Léopold Ie, empereur du Saint Empire Germanique pour celui-ci.
Après une guerre qui se sera étendue en Flandre, sur le Rhin, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Hongrie et jusqu’aux Antilles et en Amérique du Sud, c’est Philippe V qui héritera finalement du trône, mais au prix de plusieurs centaines de milliers de morts.

Philippe V d’Espagne – M. Van Loo – Musée du Prado, Madrid
Pour gagner la guerre, les soldats français en déplacement ou sur les champs de bataille ont grand besoin de nourriture et de munitions. Les habitants des provinces traversées ont donc l’obligation de ravitailler les soldats, qui se fournissent aussi sur les marchés locaux ou se livrent au pillage durant les périodes de disette. Mais les régiments sont aussi approvisionnés par toute une population de vivandiers, des marchands et des artisans autorisés à suivre les troupes pour leurs vendre produits et services. Marchant en queue de colonne, souvent avec femmes et enfants, se mêlent entre autres selliers, cordonniers, tailleurs, boulangers, bouchers, poissonniers… et chandeliers.
Et c’est ainsi que Claude, parti seul contrairement à la majorité de ses collègues, s’engage auprès de l’armée et plus particulièrement du Maréchal du Villars et se retrouve début 1705 en Lorraine, tout près du front du Rhin. Depuis combien de temps est-il sur les routes avec les soldats ? Quelles provinces a-t-il traversé ? A combien de batailles a-t-il déjà assisté ? Nous ne saurons rien de tout cela, mais ce dont on est sûrs, c’est qu’il ne reverra jamais sa famille. Le 9 mai 1705, il tombe subitement malade alors qu’il loge tout près de Metz. 5 jours plus tard, il est emmené à Metz, sûrement pour y recevoir de meilleurs soins, mais son état empire. Et lorsque le prêtre appelé à son chevet arrive enfin le soir même, il est déjà mort, sans n’avoir pu recevoir les derniers sacrements. Son corps est inhumé dans le cimetière de la paroisse Saint Victor de Metz, bien loin du tombeau de ses ancêtres.

Inhumation de Claude Vignon – Metz – 1705 – Archives municipales de Metz – GG193
« Le quinzième may 1705 mourut subitement Claude Vignon estant tombé malade le dimanche, logé au village de Longeville devant Metz, estant arrivé (à 10h du matin à Metz) le quinze, jour de sa mort, et estant venu m’appeler qu’à huict heure du soir. Je m’y suis d’abord transporté mais il estoit mort. Ledit Claude Vignon âgé de quarante ans, chandelier de profession, suivant l’armée de Mr le mareschal de Villar, natif de Paris paroisse de St Sauveur, mary à Jennevieve Tavernier, a esté enterré dans le grand cymetière qui ferme… »
Les filles Vignon
Il semble que malgré sa mort prématurée, Claude a réussi à mettre suffisamment de côté pour assurer l’avenir de ses enfants. Ses trois filles seront honorablement mariées, mais prendront chacune un chemin bien différent.
Françoise Charlotte sera unie à Pierre Théodore Leroy, un maitre menuisier. Elle lui donnera deux filles mais son époux sera arrêté et jugé en 1737 pour avoir participé à une « banqueroute frauduleuse ». Avec d’autres, il s’était faussement dit créancier de l’un de ses amis, afin de lui permettre de se déclarer en faillite alors qu’il ne l’était pas. Pour cela, il sera condamné à être « conduit à la chaîne pour y être attaché et servir le Roi comme forçat dans ses galères » durant 3 ans.



Recueil des ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, arrêts du conseil du roi – 1744
Marie Louise épousera Gabriel Gouffé, maitre potier d’étain. Ensemble, ils auront trois filles. Elle décèdera à l’âge de 50 ans à l’hôpital de la Salpêtrière où elle était hospitalisée depuis près de deux ans. A cette époque la Salpêtrière accueille des femmes infirmes, aliénées ou indigentes. Si on ne sait pas ce qui a amené Marie Louise en ses murs, ce n’est en tout cas clairement pas l’indigence.

Registre des entrées et des sorties – La Salpêtrière – SLP/1/Q/2/17 – Archives APHP
Quand à Marie Magdeleine, elle se mariera avec François Doyen, un maitre tapissier. Et donnera naissance, entre autres enfants, à Gabriel François, qui deviendra peintre du Roy et professeur de l’académie royale.

Gabriel François Doyen par Antoine Vestier – 1786

Une des oeuvres de Gabriel-François : Le Triomphe d’Aphitrite ou la pêche – 1768
Pierre, le potier d’étain
Pour Pierre, il faut d’abord s’établir avant de songer au mariage. Son père l’aurait sûrement formé à son propre métier si seulement il en avait eu le temps. C’est donc Geneviève qui prend en main l’avenir de son seul fils. En 1712, elle s’est installée rue des petits carreaux et place le jeune garçon de 13 ans comme apprenti chez Jacques-Joseph Couvreur, un maitre potier d’étain, afin d’apprendre ce métier. Durant 6 ans, son maitre s’engage à « le loger, coucher, faire blanchir son gros et menu linge et l’entretenir d’habillement honnête selon son état ». Pierre aura pour sa part l’obligation de servir et d’obéir à son maitre, de travailler dur, de se lever tôt et de se coucher tard, et de s’acquitter de quelques tâches domestiques.

Contrat d’apprentissage de Pierre Vignon chez Jacques Joseph Couvreur – 1712 – MC/ET/LXI/325 – Archives Nationales
Fut présente Geneviève Tavernier veuve de Claude Vignon Chandelier à Paris, y demeurant aux petits Carreaux paroisse Saint Sauveur, laquelle pour faire l’avantage de Pierre Vignon son fils et dudit défunt, âgé de treize ans ou environ, qu’elle certifie fidèle, a reconnu l’avoir mis en apprentissage pour six années à compter du jour avec Jacques Joseph Couvreur maitre potier d’étain.
Durant tout ce temps, Pierre doit vivre chez son maître, mais ne s’éloigne pas pour autant de sa famille puisque Couvreur vit rue du cygne, à quelques pâtés de maisons de la rue des petits carreaux.

Le cul de sac de l’Empereur, la rue du Cygne et la rue des Petits Carreaux – Nouveau plan de la ville de Paris, capitale du royaume de France – G. Monbard – 1694 – Gallica
Quelques années plus tard, le mentor de Pierre sera arrêté et emprisonné à la Bastille pour avoir « tenu des assemblées calvinistes ». En clair, il avait organisé des réunions de protestants, à une époque où le protestantisme était interdit. Après la Bastille, il sera transféré aux «Nouveaux-catholiques», une institution destinée à accueillir les nouveaux convertis au catholicisme. Heureusement pour Pierre, tout cela se passe 5 ans après qu’il ait quitté son maitre. Il aura donc pu mener son apprentissage à terme sans problèmes.

La Bastille vers 1780 – J.B Lallemand – Gallica
Une fois ses études terminées, le jeune homme peut maintenant s’installer à son compte, et s’établit rue Guérin Boisseau. Et il est temps pour lui de se marier. En 1724, il épouse Anne Marguerite Bourillon, une jeune femme de sa paroisse. Tout ce que l’on sait de sa famille est que son père s’appelle Jacques. Si on ne sait rien du métier de Jacques non plus, il semble que l’homme soit relativement à l’aise puisqu’il dote sa fille de 500 livres, dont 300 livres en vêtements, linge et meubles. C’est une très jolie somme : plus d’un an et demi de salaire pour un journalier.

Extrait de l’inventaire après décès de Pierre Vignon relatif à son contrat de mariage avec Anne Marguerite MC/ET/XIX/745 – 1753 – Archives Nationales
En faveur dudit mariage Sieur Jacques Bourillon père de ladite veuve Vignon présent audit contrat assistant ladite veuve sa fille. Lui a donné la somme de 500 livres, savoir 300 livres en habits, meubles, linges et hardes à l’usage de ladite future épouse et 200 livres contenues en un billet du douze février 1624 fait par le sieur Leroux et sa femme audit sieur Bourillon pour prêt de pareille somme le tout que lesdits futurs époux ont reconnu avoir en leur possession.
Maîtriser son art
Maintenant qu’il est marié, Pierre aspire à obtenir le rang de maître dans son métier. Pour cela il pouvait se soumettre à l’épreuve du chef d’oeuvre : présenter une pièce de sa fabrication devant un jury, qui déciderait ensuite de l’accepter parmi les maîtres ou non. En cas de refus, les chances pour le candidat de réussir dans son métier étaient nulles. L’autre choix qui s’offrait à Pierre était tout simplement d’acheter l’une des lettres de maîtrise crées régulièrement par le Roi. C’est justement ce qu’il fait, 6 mois après la noce. Certes, cela a un coût : Il lui faut en effet débourser pas moins de 1342 livres pour l’acheter, soit plus de 2400 des chandelles de son père… Mais le voilà enfin officiellement Maître potier d’étain, sans avoir pris le risque d’être recalé par ses pairs. Toutefois, acheter sa maîtrise sans produire de chef d’oeuvre est assez mal vu dans son milieu, ce qui peut être l’une des raisons qui l’empêcheront de devenir un potier réputé. Mais il se peut aussi tout simplement qu’il ne soit pas vraiment doué, cet ça expliquerait aussi pourquoi il n’aura pas voulu se soumettre à un jury… Dans tous les cas, la mise sur le marché de ces nouvelles maîtrises est loin d’être du goût des « véritables » maîtres et il faudra la publication d’un arrêté pour faire respecter les ordres du Roi.

Arrêt du conseil d’Etat du Roi après la réticence de certaines communautés d’artisans d’accueillir parmi eux ceux qui, comme Pierre, ont acheté une des maitrises créées en 1722 – Gallica
Contrairement à certains de ses confrères qui tiennent boutique, Pierre travaille « en chambre ». Il fabrique mais ne vend pas, laissant cette partie à des revendeurs. Il se spécialise dans les petits objets : manches de couteaux, tabatières, dés à coudre, charnières.
Pour fabriquer ses pièces, notre potier se sert de moules, en pierre ou en fonte, dans lesquels il verse l’étain qu’il aura préalablement fondu, souvent mélangé avec d’autres matières comme le plomb ou le cuivre. Une fois démoulée la pièce est ensuite « tournée » sur un tour à poterie, de la même manière que la poterie d’argile (d’où le nom de « poterie » d’étain) afin de lui donner plus de régularité, puis décorée, gravée et polie. Enfin, le maître y appose son poinçon, étape absolument obligatoire.

Art du Potier d’Etain – Pierre Augustin Salmon – 1788 – Gallica
L’étain étant une matière souple, la durée de vie des objets ainsi fabriqués est courte, pas plus de 5 ans. Ils sont alors fondus à nouveau pour servir de matière première à de nouvelles pièces. Et malheureusement pour nous, il semble qu’aucun des objets fabriqués par Pierre n’ait survécu jusqu’à nos jours.

Art du Potier d’Etain – Pierre Augustin Salmon – 1788 – Gallica
En 1730, 18 ans après avoir commencé son apprentissage, Pierre prend à son tour un apprenti. Son jeune élève s’appelle Jean Baptiste Moreau. Il a 18 ans et il est le fils d’un maitre boulanger de la rue Guérin Boisseau. C’est sa mère, veuve, qui le place auprès de Pierre pour 6 ans. Le maître s’engage à lui enseigner son métier mais aussi à le nourrir, le loger, lui faire blanchir son linge, le fournir en vêtements et chaussures, et à le traiter doucement (autrement dit, de ne pas le brutaliser). De son côté l’élève promet d’apprendre le métier de son mieux, sans s’absenter ni travailler ailleurs. Quant à la mère de Jean-Baptiste, elle s’engage à le faire chercher s’il s’enfuit et à le ramener chez son maître. Souvent, l’entrée en apprentissage à un coût pour les familles mais certains maîtres peuvent aussi prendre leurs élèves gratuitement. C’est le cas dans l’arrangement entre Pierre et les Moreau. Pour le maître, en dehors du fait de partager son savoir, c’est aussi l’occasion de s’offrir un ouvrier et un domestique sans rien débourser d’autre que ses frais d’entretien. Toutes les parties retirent donc un avantage de ce contrat.

Extrait du contrat d’apprentissage passé entre Pierre et les Moreau – MC/ET/X/388 – 1730 – Archives Nationales
Fut présente Marie Daubaton…, demeurant à Paris rue Guérin Boisseau, paroisse St Nicolas des Champs. Laquelle pour faire le profit de Jean Baptiste Moreau âgé de 18 ans ou environ, fils de son premier mari, qu’elle certifie fidèle… mis en apprentissage de ce jourd’hui jusque là pour six ans… avec le sieur Pierre Vignon maître potier d’étain à Paris demeurant rue Guérin Boisseau…
Le jeune Jean-Baptiste s’installe donc avec les Vignon et leur famille qui s’est déjà bien agrandie depuis leur mariage avec les naissances de Marie-Jeanne et de Christophe en 1724 et 1729. Et ce n’est pas une mince affaire de loger ces 5 personnes sous le même toit.

Les rues Guérin Boisseau, Saint Denis et le cul de Sac de l’Empereur sur le plan de Turgot – 1734
Se loger à Paris au XVIIIe siècle
A Paris, les maisons se construisent tout en hauteur, que ce soit dans les rues ou sur les ponts, masquant le soleil et l’air frais sur la chaussée. Contrairement à aujourd’hui, on ne loue pas un appartement entier mais une chambre, pièce qui ne sert pas uniquement à dormir mais aussi à prendre ses repas, à travailler… et dans laquelle vit souvent une famille entière. Ceux qui ont les moyens peuvent louer plusieurs chambres, sans qu’elles soient forcément contigües, au gré de ce que le propriétaire veut bien leur donner. Ainsi il est tout à fait possible de posséder une chambre du premier étage et une autre au troisième. Ou deux chambres dans deux maisons différentes.

Paris à travers les siècles – Gallica
Après le départ de l’apprenti, Pierre et Anne Marguerite accueillent deux nouveaux enfants dans leur foyer : Jean en 1742 et Jeanne Marguerite, mon ancêtre, en 1745.
Quelques années plus tard, la famille déménage pour louer deux nouvelles chambres, dans deux maisons différentes de deux rues différentes. La première est située rue Thévenot et la chambre, située au 4e étage avec vue sur la rue, est à l’usage de la mère et de ses quatre enfants. La famille a du se débrouiller pour y faire entrer le mobilier familial qui se compose d’une table et six chaises, une commode pleine à ras bord de linge et de vêtements, un buffet servant à la fois de garde-manger et de vaisselier, deux lits, quelques tapis, un miroir et plusieurs tableaux. Le tout dans une pièce de moins de 20 m2…

Extrait de l’inventaire après décès de Pierre Vignon relatif à la chambre rue Thévenot – MC/ET/XIX/745 – 1753 – Archives Nationales
Un buffet en garde-manger garni de deux volets grille, de deux battants pleins et de deux tiroirs de bois de chêne. Un petit miroir de 15 pouces sur douze à bordure et chapiteau de bois sculpté doré. Une petite couchette de 3 pieds garnie d’une paillasse de toile, un matelas de laine blanche couvert de toile, un lit, un traversin, un oreiller de coutil rempli de plumes, une couverture de laine blanche, une courtepointe de toile de coton à fleur, la housse dudit lit sur son champ carré composé de son ciel et dossier chantourné, deux grands et deux petits rideaux grande et petite pointe de soie bleue ornés de galons de soie bleue.
L’autre chambre est dans la rue Saint-Martin, non loin de là, au 3e étage d’une maison et donnant sur la rue. Elle sert d’atelier et de lieu de vie à Pierre. On y trouve un garde-manger, un lit, trois tables, cinq chaises, trois tabourets, une armoire contenant son linge et ses vêtements, un grand miroir, un coffre-bahut, quelques tableaux et un fourneau chauffe-fer à repasser.

Un fourneau chauffe-fer à repasser
Là encore, peu de place pour se mouvoir, surtout qu’il y a aussi tout le matériel nécessaire au maitre potier d’étain…

Extrait de l’inventaire après décès de Pierre Vignon relatif à ses outils – MC/ET/XIX/745 – 1753 – Archives Nationales
Un tour posé sur son établi, un champ garni, et autres ustensiles qui n’ont mérité plus ample description, vingt et un tant grattoirs que crochets, un petit établi de vieux bois de sapin, ciseaux limes, petits grattoirs, deux fers de cuivre, un vieux marteau, un archet, une vieille meule sur son pied, 18 livres de poterie que composent moule à tabatière, moule à manche de couteau et moule de charnière, 3 livres de plomb qui sont de différents modèles.
Une fin dans la misère
Malheureusement, Pierre ne profitera pas longtemps de ce nouvel environnement. En 1753, il est admis à l’hôtel-Dieu, hôpital situé sur l’île de la Cité qui accueille les plus démunis. Et c’est dans son lit de malade qu’il décède le 13 octobre, à l’âge de 55 ans, sûrement usé prématurément par une vie de dur labeur et surtout une longue exposition au plomb, terriblement toxique pour l’organisme.

Le Pont au Double, l’Hôtel-Dieu et le Petit Châtelet – Victor Jean Nicolle – Gallica
Il n’aura jamais quitté son quartier, ni réussi à se faire un nom dans sa profession et encore moins à faire fortune. Car à sa mort, les finances de la famille sont loin d’être au beau fixe : Pierre était criblé de dettes, si bien que sa veuve renonce purement et simplement à sa succession.

Les différentes rues dans lesquelles Pierre à vécu, toutes très proches les unes des autres – Nouveau plan de la ville de Paris, capitale du royaume de France – G. Monbard – 1694 – Gallica
En ce qui concerne le reste de la famille, Anne Marguerite ne se remariera pas et survivra à son mari pendant 9 ans, avant de s’éteindre à son tour en 1762. On perd rapidement la trace des deux garçons de la fratrie, absents des archives après le décès de leur père. Marie-Jeanne épouse vers 1750 Pierre Jean Bellangé, un marchand mercier. Quant à Jeanne Marguerite, elle convole avec Pierre Maillard, un versaillais, en 1769. Mais ça, ce sera l’objet d’un futur article…


Les signatures de Pierre Vignon et d’Anne Marguerite Bourillon
Bibliographie : Etain et maitres potiers d’étain – Philippe Boucaud et Michel Schonn


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